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Les premières minutes d'un entretien d'embauche sont déterminantes (2/3)

Résumons les apports de la première partie du dossier.

Un entretien d’embauche est une première rencontre entre deux individus qui souvent ne se connaissent pas : un recruteur et un candidat. Et pourtant, en quelques minutes, l’un des deux doit prendre une décision : recruter ou non le candidat. Nous allons continuer d'explorer les capacités et surtout les failles du recruteur et regarder comment les tourner à l'avantage du candidat.


Rappel suite. Au cours des millénaires, l’évolution nous a laissé de nombreuses capacités. Parmi celles-ci, des heuristiques qui permettent à notre cerveau de prendre des décisions via des raccourcis. Cela dans le but d'économiser du temps et de l’énergie. Ces heuristiques peuvent nous permettre de nous donner rapidement un avis sur un sujet nouveau, sur un inconnu.


Il y a quelques millénaires, il pouvait s’agir d’une question de survie. Cet inconnu, homme ou animal, qui apparaissait devant vous, était-il un ami ou un ennemi. Etait-il inoffensif ou dangereux ? Et que signifiait ce nouveau bruit dans ce buisson ? Signifiait-il la perspective d'un futur repas ou cachait-il un fauve ?

Les heuristiques sont le fruit d'apprentissages et ont permis de sauver la vie de nos très lointains ancêtres. Ils nous les ont léguées inchangées via leurs gènes.


Quels raccourcis cognitifs, si vous croisez un homme de néandertal ?

Aujourd’hui, nous sommes donc toujours porteurs de ces heuristiques, mais beaucoup d'entre elles nous sont devenues inutiles. Pire, elles peuvent nous induire en erreur. Nous obliger à prendre des décisions précipitées. D’heuristiques, ces capacités précieuses peuvent devenir des erreurs d’aiguillage. On appelle ces erreurs des biais cognitifs. Dans la partie 1, nous avons vu des exemples de biais cognitifs.


Les biais cognitifs et les entretiens d’embauche

Un entretien d’embauche peut donner lieu à un foisonnement de biais cognitifs. Des d’études* menées sur le recrutement et particulièrement sur les entretiens d’embauche démontrent que le candidat recruté est le bon dans uniquement 56% des cas. Dit autrement, seulement un candidat recruté sur deux fait l'affaire. Les chercheurs ont abouti à ce résultat en mesurant la satisfaction des responsables directs des recrutés. Seulement 56% des recrutés apportent satisfaction dans l’activité pour laquelle ils ont été recrutés. Ce qui s'avère fort peu par rapport aux efforts que les recruteurs mettent en oeuvre.


Les auteurs de cette étude expliquent que le recruteur se retrouve souvent piégé par ses biais cognitifs. Pour commencer, il se repose sur sa première impression qu'il pense être la bonne. La « sagesse », dite populaire, en a même construit un dicton : « la première impression est la bonne ».


Quand les préjugés s'ajoutent aux biais cognitifs

C’est vrai, cette première impression économise du temps et de l'énergie chez le recruteur. Et il présente la tendance à se reposer dessus. Il ne le sait pas bien sûr, mais il est souvent abusé par cette première impression. Par exemple, le recruteur est sensible au fait que le candidat vienne de la même ville que lui. Qu'il ait fait les mêmes études ou mieux, la même école. Mieux encore, cette bonne impression est renforcée, si le candidat correspond aux stéréotypes que se fait le recruteur pour occuper le poste : homme/femme, jeune/vieux, français/étranger, blanc/noir, etc... La liste est longue.


On nous a même rapporté le cas d’un professeur chargé du recrutement dans une école supérieure française bien cotée. Ce professeur s'interdit de recruter des garçons prénommés Kevin… Ce professeur est victime de ses préjugés. Il sait que le prénom est un marqueur social** et que le prénom Kevin est peu donné dans les couches sociales supérieures.

Il sait aussi que les étudiants qui proviennent des couches sociales supérieures réussissent mieux dans les études supérieures… et pour cause !


Ce professeur est peut-être victime de ce biais cognitif dit de représentativité qui permet à notre cerveau de tirer une règle, une généralité, à partie de seulement deux occurrences, deux cas.

Ou alors, ce professeur avait vécu deux expériences malheureuses avec deux Kevin. Mais cela ne suffit pas à bâtir une règle et encore moins à l'appliquer lors d'un recrutement.


En pratiquant ainsi, ce professeur opte pour une solution qui lui est peu consommatrice en énergie et en temps. Il s’appuie sur ses biais cognitifs ou ses préjugés et se refuse de faire un effort pour étudier de près le dossier de Kevin et s'il peut réussir des études supérieures. En pratiquant ainsi, ce professeur se refuse de donner une chance à un jeune qui vient - peut-être - d'un milieu défavorisé. Sans compter que cette posture est contraire aux pratiques de l’Education Nationale, service public d’une république. Mais ceci n’est pas le sujet de ce dossier.


Vous l’avez compris, un entretien d’embauche est un moment durant lequel les biais cognitifs du recruteur prennent facilement le dessus. A vous donc de les tourner à votre avantage. Vous ne pouvez bien sûr pas changer de sexe, ni votre nom ou vos études. Mais il peut être important de citer votre ville de naissance et celle où vous avez fait vos études. Cela peut paraître un détail, mais les études montrent que le recruteur est plus sensible à un candidat qui lui ressemble, qui provient d'une même ville ou qui a fait les mêmes études.


Utiliser les biais cognitifs à votre avantage

Ainsi, j’ai préparé Alex, un jeune étudiant ingénieur chimiste à décrocher un stage. Ce jeune présentait la particularité d’être autiste. Nous avons donc choisi de jouer avec les raccourcis que prend généralement un cerveau occidental quand il rencontre une personne atteinte de ce trouble. Pour un occidental, ses préjugés sont les suivants : un autiste présente des difficultés relationnelles et il possède un cerveau capable de prouesses. Nous avons donc axé notre stratégie sur trois axes.


Les trois axes de la stratégie d'Alex :

1/ Alex annonce qu’il est atteint d’autisme - être transparent est toujours apprécié par un recruteur. Alex en profite pour rappeler que le spectre de l’autisme est large et que chez lui ce trouble lui permet de suivre avec succès des études d’ingénieur.

2/ Alex précise qu’il aime travailler en équipe. Il profite pour développer sa vision du travail en équipe. Nota : autiste ou non, il est important de développer ce point.

3/ Puis, Alex sort un dernier atout. Il explique qu’il présente la capacité de visualiser très rapidement - sous-entendu, plus rapidement que les autres - les molécules de polymères en 3D.


En procédant ainsi, Alex a mis le cerveau du recruteur en court-circuit en le forçant à prendre les raccourcis qu’Alex avait lui-même choisi. La réflexion du recruteur était biaisée, car, comme prévu, il ne s’est pas donné les moyens de vérifier le comportement d’Alex dans une équipe ni sa capacité à visualiser les molécules en 3D.


Nous sommes porteurs de préjugés vis à vis des autistes

De plus, avec un peu de chance, ce recruteur avait vu le film Rain Man et les capacités phénoménales de l’autiste joué par Dustin Hoffman.


Les autistes sont des collègues très agréables

De plus, Alex en prenant les devants sur ses capacités à travailler en équipe coupait l’herbe sous le pied aux préjugés sur le sujet. Car les autistes ont la réputation de manifester des difficultés relationnelles. Ce qui est faux et fait donc partie des préjugés.

Comme tous les êtres humains, ils aiment la vie en société et s’avèrent être des collègues très agréables. Mais là encore, les cerveaux adorent prendre des raccourcis surtout avec des choses qu’ils ne connaissent pas.


Notre comportement hérité de l’évolution nous conseille d’éviter, de nous éloigner, de ce que l’on ne connaît pas. Ce comportement hérité du biais dit de disponibilité consiste à ne pas aller chercher de nouvelles informations, à se contenter de ce que l’on dispose pour décider. Ainsi, il n’est pas étonnant de lire dans les sondages que les personnes qui ont le plus peur de l’immigration vivent dans des villages sans émigrés et que dans les années 1980-90, la tranche d’âge qui avait le plus peur du Sida était les plus de 65 ans…


Les deux parties du présent dossier seront publiées prochainement


* "Noise. Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter" par Daniel Kahneman, Olivier Sibony, Cass R. Sunstein


** Dans son livre, "La sociologie des prénoms", Baptiste Coulmont, professeur de sociologie à l’École normale supérieure de Paris-Saclay, démontre le rôle des prénoms comme marqueur social.



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