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Un entretien d'embauche est un concentré de biais cognitifs

La notion de biais cognitif est à la mode. Elle a le vent en poupe depuis la crise du Covid. Pourquoi ? Parce que pour la première fois chacun se retrouvait devant une situation inédite et ne pouvait s’empêcher d’avoir un avis (biais dit d’illusion de savoir). Certains même pensaient tout connaître sur les virus, les vaccins, le système immunitaire (biais dit effet Dunning Kruger). Ces raccourcis que prend notre cerveau sont aussi omniprésents lors d’un entretien d’embauche. Il s’agit alors de les identifier, de les contourner et même les retourner à son avantage. Explications et conseils


Notre cerveau fonctionne principalement selon deux modes qu’il met en route suivant les circonstances. Le chercheur* qui le premier les a mis en évidence les a appelé « système 1 » et « système 2 ».


Le système 1 est rapide et consomme peu d’énergie. Il prend des raccourcis pour nous livrer ses conclusions et nous en faisons des décisions pour la plupart inconscientes. Le système 1 nous permet de faire des gestes sans que nous ayons besoin d’y réfléchir : se laver les dents, marcher, conduire une voiture.


Lorsque le système 1 est activé, il fonctionne sans que nous ayons est besoin d’y consacrer du temps et de l’énergie. Il s'avère très utile et notre cerveau tendance à le solliciter très naturellement en premier. Il opère cela à notre insu.


Ce mode raccourci, s'appelle une heuristique. Les heuristiques nous permettent de résoudre des problèmes du quotidien de façon rapide, incomplète mais souvent suffisante. Ainsi, il n’est pas nécessaire de consacrer toute la vigilance et l’énergie de son cerveau pour conduire sa voiture. L’heuristique correspondante suffit amplement quand on possède déjà plusieurs années de pratique.


Tourner les biais cognitifs à son avantage

Mais si vous êtes un pilote de course, un pilote d’hélicoptère ou un commandant de bord d'Airbus pas question d’heuristiques ni de système 1. C’est le système 2 qui prend le relai. Il demande plus de temps et d’énergie, le cerveau du pilote ne s’appuie plus sur des automatismes, il va au bout de ses réflexions et lui permet de piloter ces différents véhicules en toute sécurité.


Revenons à votre conduite de votre voiture. Votre système 1 peut à tout moment basculer sur le système 2, comme par exemple lorsque vous sortez de l'autoroute. Sur l'autoroute, votre système 1 a pris les commandes, vous pouvez tranquillement écouter votre émission préférée sur votre radio préférée ou à jouer à "Qui est-ce ?" en famille.


Mais dès que vous arrivez dans une ville que vous ne connaissez pas, votre système 2 prend le relai. Il a besoin de ressources supplémentaires pour fonctionner. Pour commencer, il a besoin de silence pour réfléchir et vous orienter. Vous arrêtez les jeux et baissez ou éteigniez la radio. Vous levez le pied. Même si c'est obligatoire, vous l'auriez malgré tout fait, car votre cerveau mobilise votre attention, vos yeux, vos oreilles, votre réflexion. Il exige plus de temps et d'énergie. Conduire sur une route nationale ou départementale engage plus d’énergie, car le système 2 de votre cerveau est plus souvent sollicité que sur une autoroute. C'est pour cela que conduire sur une petite route inconnue est souvent plus fatigant que conduire sur un tronçon d'autoroute que vous connaissez par coeur.

Les biais cognitifs en entretien d'embauche

En entretien d’embauche, les recruteurs sont le plus souvent en mode « autoroute ». Ils sont pressés et ne disposent pas réellement de méthode exigeant une réflexion. Cette absence de méthode éprouvée et de temps ne leur permet pas de réaliser un tour complet des candidats. Bien connaître une personne demande du temps et de l’énergie. Les périodes probatoires de 2 à 6 mois servent à cela.


En une heure, parfois deux fois une heure et plus rarement trois fois une heure, il n’est pas possible de mesurer les savoirs, savoir-faire et savoir-être d’une personne. D'autant que ce principe de recevoir un même candidat en plusieurs fois est le plus souvent réalisé avec des recruteurs différents. Ce qui implique que chacun des recruteurs se retrouve au même point de départ sur une même autoroute. Ils ne disposent toujours pas d’un temps suffisant pour prendre les mesures d'un même candidat.


Il serait plus efficace de passer trois heures avec un même recruteur que trois fois une heure avec trois recruteurs différents. Cela permettrait ainsi au cerveau de basculer du système 1 au système 2. De ne plus se reposer sur des heuristiques, des raccourcis, mais d’engager du temps et de l’énergie pour analyser, évaluer et mesurer.


Les meilleurs recruteurs placent les candidats en situation professionnelle, mais n’est pas réalisable pour tous les métiers.


Un entretien d’embauche s’avère donc un concentré d’heuristiques. De cerveaux qui fonctionnent vite, à l’économie et se contentent d’évaluer ce qu’ils sont pourtant censés mesurer avec précision. Ce temps ridiculement court d'une heure ou deux d'entretien peut se transformer en une carrière de 10 à 30 ans pour le recruté.


Ce temps trop rapide pendant lequel les heuristiques prennent le dessus peut joue en défaveur du recruteur. Il en tire souvent des conclusions erronées*2. Ces heuristiques deviennent alors ces fameux biais cognitifs. Un biais cognitif est une heuristique qui a mal tourné. Une heuristique qui nous a induit en erreur.

Le système 1 et système 2 de notre cerveau (Getty/Image)

Un résultat de notre évolution

Les heuristiques sont héritées de notre évolution. Face à une situation inédite, notre ancêtre était sommé de choisir la bonne posture. Et les situations inédites devaient être quotidiennes. Devant un bruit dans un buisson, son système 1 se mettait immédiatement en route et devant l’incertitude, il prenait les jambes à son coup. La sélection naturelle a retenu les individus porteurs des gènes de cette heuristique et nous l’ont transmise.


Ceux de nos ancêtres qui choisissaient d’investir du temps et de l’énergie en fouillant le contenu du buisson ne nous ont pas transmis leurs gènes porteurs de cette capacité, tout simplement parce que ces mêmes gènes ont été dévorés par le tigré caché dans ce buisson.


Oui, mais voilà, en 2022, sous nos latitudes, il n’y a plus ni buissons ni tigres, mais des entretiens d'embauche et des heuristiques qui sont devenues ces biais qui induisent en erreur le recruteur et qui complexifient la tâche du candidat. Ainsi, on ne peut pas s’empêcher de se donner un avis en quelques minutes sur une personne que l’on vient de rencontrer. Un avis qui peut s'avérer pertinent, mais aussi complètement faux. Un peu comme le bruit dans le buisson signifiait un danger. C’est le biais d’ancrage mieux connu au travers de l’expression « la première impression est la bonne ».


L'effet de halo

Ainsi, vous êtes convoqué pour un entretien d’embauche. Vous venez d’entrer dans la pièce où vous attendent les recruteurs. Vous ne le savez pas, les recruteurs non plus, mais l’entretien vient de commencer, ils ont déjà commencé à vous évaluer. « Avez-vous trouvé facilement notre adresse ? », répondez oui, même si vous avez galéré un peu. « Voulez-vous un café ou un verre d’eau ? », répondez oui. On préfère toujours un interlocuteur qui acquiesce plutôt à une personne qui oppose un refus, même poli.


Puis on va vous demander de vous présenter. Le biais cognitif dit effet de halo continue son oeuvre. Il est issu du biais d’ancrage et vise à percevoir les informations qui vont dans le sens d'une première impression. C’est surtout à l’issue de votre présentation que celui-ci va se jouer.


Souvenez-vous, un entretien commence le plus souvent par la demande de vous présenter. L’effet de halo subi alors par vos interlocuteurs va guider la suite de votre entretien. Si vous avez fait bonne impression, la séquence de questions qui va suivre va chercher à confirmer cette bonne impression. Si vous avez fait une mauvaise impression, les recruteurs vont chercher à confirmer cette mauvaise impression. D’où l’intérêt de parfaitement préparer son pitch de présentation.


Comment tourner les biais cognitifs à son avantage ?

Vous pouvez tourner certains biais cognitifs à votre avantage. Comme avec le biais dit effet de primauté qui oblige naturellement le cerveau de vos interlocuteurs à mieux se souvenir des éléments d’une liste mémorisée. Obligez-vous à commencer dans vos prises de parole par ce qui vous parait le plus important, les recruteurs vont mieux s’en souvenir.


Avec l’effet de récence. Notre cerveau se souvient mieux des derniers éléments auxquels il a été confronté. Terminez votre présentation par un moment fort dans lequel vous résumez vos points forts et réaffirmez votre engagement. Terminez aussi vos réponses aux questions par un exemple concret, cela donnera l’impression à votre auditoire de savoir de quoi vous parlez.


Le biais d’auto-complaisance a tendance a nous attribuez nos réussites, mais pas nos échecs. Travaillez bien la question : « parlez-nous d’une erreur que vous avez faite ». Montrer que vous savez reconnaître vos erreurs et que vous avez mis en place des garde-fou pour éviter qu’elles ne se reproduisent. Cette posture sera remarqué positivement par un recruteur, car il sait que tout le monde fait des erreurs.


Le biais d’immunité à l’erreur nous empêche de voir nos propres erreurs. A traiter avec le même soin que la question précédente. Le recruteur ne recrutera pas un candidat qui ne reconnaît pas faire des erreurs.


Le biais de statu quo que l’on pourrait résumer par cette fameuse résistance au changement qui touche tous les échelons d’une hiérarchie. Prenez la main en montrant que vous aimez le changement et son lot de challenges. Que vous en avez même initiés.


Vous l’avez compris, les recruteurs sont victimes de biais cognitifs. Ils ne sont pas capables en des temps aussi courts de mesurer la valeur d'un candidat. En revanche, sachez identifier ces biais et les tourner à votre avantage.


*1 Daniel Kahneman : Système 1 / système 2, les deux vitesses de la pensée

*2 Seulement 56% des recrutés apportent satisfaction. Ce qui revient presque à jouer un recrutement à pile ou face. Sur ce sujet lire Noise de Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein


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